Scientific Game Jam ou comment allier jeux vidéo et sciences

La Scientific Game Jam…Tu connais? Non? Alors je te propose de (re)découvrir cet événement à travers une interview de Pol Grasland-Mongrain qui participe à l’organisation de la Scientific Game Jam qui aura lieu d’ici quelques semaines!

Présentation

Claire : Bonjour Pol, pourrais-tu te présenter ?

Pol : Bonjour, je suis Pol Grasland-Mongrain. J’ai fait mes études en physique à l’ENS de Cachan entre 2006 et 2010. Puis j’ai fait une thèse à Lyon, un premier post-doc (CDD que font les jeunes chercheurs après avoir obtenu leur thèse, ndlr) à Montréal et un deuxième à l’ENS de Lyon. En 2020, j’ai terminé mon post-doc et je suis parti en indépendant pour donner des formations aux doctorants et chercheurs. Je donne des formations sur divers sujets mais ce qu’on me demande le plus ce sont des formations sur le graphisme scientifique.

En parallèle de ça, j’ai toujours été assez joueur. En 2013, j’ai participé à la création d’un festival appelé InterENS Ludiques qui vit toujours aujourd’hui et qui fonctionne très bien. J’ai commencé à créer des jeux vidéo à Montréal.

Et quand je suis arrivé à Lyon, je suis devenu président d’une association qui s’appelle Lyon Game Dev. C’est dans ce cadre que j’ai eu l’idée d’organiser ce qu’on appelle une game jam. C’est un événement de création de jeux vidéo qui est assez populaire. Et au lieu d’avoir une game jam classique, j’ai proposé d’organiser une game jam à thème scientifique.

A Grenoble, ils avaient déjà fait des événements appelés scientific game jam donc je les ai contactés, on a discuté, j’ai repris le nom et quelques éléments. C’est ainsi qu’est née la Scientific Game Jam que l’on connait aujourd’hui.

Claire : Peux-tu nous expliquer concrètement ce qu’est une Scientific Game Jam ?

Pol : La Scientific Game Jam est un événement interdisciplinaire de création de jeux vidéo scientifiques. La prochaine édition va avoir lieu en ligne (via la plateforme Gather town) et dans différentes grandes villes (Paris, Grenoble, Lyon, Nancy, Strasbourg…) durant un week-end du mois de mars (dates précises à voir ici).

Qu’est-ce que la Scientific Game Jam?

 C’est la rencontre entre les sciences et les jeux vidéo. On rassemble des jeunes chercheurs/chercheuses et des développeurs de jeux vidéo pendant un weekend, et l’idée c’est de créer un jeu vidéo autour du thème de recherche.

Des équipes sont organisées. Il y a beaucoup d’échanges et de découvertes entre les personnes de l’équipe. D’abord, le/la scientifique doit arriver à vulgariser son thème de recherche pour que ceux qui ne sont pas du domaine comprennent le sujet. D’ailleurs, arriver à vulgariser, à rendre accessible ses recherches, extraire les choses qui sont pertinentes pour un jeu, c’est un travail. Ensuite, il y a aussi le défi d’arriver à mener une équipe et à finir en temps et en heure.

Au final, l’idée c’est aussi de diffuser auprès du grand public les jeux réalisés. On va encourager le public à tester ces jeux, appelés aussi « serious-game » (des « jeux sérieux » qui permettent d’apprendre quelque chose, ndlr). Il y a une activité de médiation scientifique derrière. (la médiation scientifique passe aussi par les CCSTI, comme nous l’avait expliqué Audrey Popineau, ndlr)

En ce qui me concerne, je coordonne la Scientific Game Jam au niveau national et j’organise l’événement en ligne, et ceux de Lyon et Paris.

Claire : Combien êtes-vous pour organiser la Scientific Game Jam ?

Pol :Chaque site fonctionne de manière autonome. Au sein de l’association La Science Entre En Jeu, on est essentiellement deux à être dans l’organisation. Ma collègue Solenne Marty, qui  est plus sur la partie online et Paris et moi sur la partie présentielle à Lyon et Paris. Il y a également des collègues d’une association qui s’appelle Game Dev Party qui viennent nous donner un coup de main pour le site de Lyon. Sur chaque site, il y a des mentors les weekends qui vont donner des conseils aux équipes pour réaliser leur projet. Et pour finir, on a aussi un jury de professionnels qui vient tester les jeux sur la plupart des sites.

La Scientific Game Jam en quelques chiffres

Claire : Avez-vous beaucoup de partenaires ?

Pol : Oui. En moyenne sur les sites, c’est 4 à 6 partenaires qui apportent de l’argent, fournissent le lieu, participe à l’organisation…Il y a des universités, des labo, des studios de jeux vidéo, des associations, des communes…

Claire : Quels sont les critères pour former une équipe de Scientific Game Jam?

Pol : Programmeur, designer, jeune-chercheur,…Les équipes sont pluridisciplinaires. On encourage à ce qu’il y ait un jeune chercheur/ chercheuse par équipe et pas un scientifique sur plusieurs équipes. Et on demande à ce que ce scientifique soit doctorant ou post-doc, on ne prend pas d’étudiant en licence/master parce qu’on estime qu’ils n’ont pas encore de projet de recherche véritablement. On pourrait accepter des scientifiques plus vieux comme des enseignants-chercheurs mais je pense que c’est quand on est doctorant qu’on est le plus friand de ce genre d’initiative

Claire : Combien d’équipes attendez-vous pour l’édition printemps 2O23?

Pol : En ligne, on s’attend à avoir 5 à 8 équipes, c’est-à-dire 40-50 personnes et à Lyon on s’attend à avoir 4-6 équipes. C’est un ordre de grandeur!

Sur les autres sites, je n’ai pas encore de chiffre mais ça marche bien !

La Scientific Game Jam est sur plusieurs sites

Claire : Comment se fait la coordination entre les différents sites qui organisent une Scientific Game Jam?

Pol : On a une sorte de comité de coordination national avec 4 personnes dedans, il y a moi-même, Eléa Héberlé, Marc de Boissieu et Emilie Gaudry et puis on se fait une petite réunion de temps en temps pour s’assurer que tout le monde a à peu près le même format, qu’on a une affiche qui soit identique, que tous les liens soient recensés sur le site Scientific Game Jam.

Les différents sites sont très autonomes. Ils suivent le format proposé mais peuvent s’adapter. Par exemple, certains sites veulent remettre des prix, d’autres préfèrent ne pas en remettre. C’est comme chacun le souhaite.

Le problème, si on remet un prix c’est qu’il y a un esprit de compétition et donc cela peut créer une ambiance qui n’est pas terrible. Par contre, on insiste pour qu’il n’y ait pas d’argent. Les prix sont plus symboliques, il n’y a pas de grands enjeux : comme une clé de jeux vidéo, une visite d’un musée, une visite d’un studio de jeu vidéo, une visite de laboratoire…

Moi, à titre personnel, j’aime bien quand il y a un prix, ça permet de se dire « l’événement se termine à telle heure, tel jour et il faut avoir fini à ce moment-là ». Parce que quand il n’y a pas de prix pas de jury, on se dit « bof, on finira plus tard, et c’est pas grave » Et en plus, souvent quand on fait un jeu, c’est sympa quand tu as un jury de professionnels qui teste ton jeu et te fait des retours.

La Scientific Game Jam en quelques dates

Claire : A quand remonte la première Scientific Game Jam que tu as organisée ?

Pol : La toute première édition que j’ai organisée devait avoir lieu en mars 2020 à l’ENS de Lyon. Mais il y a une pandémie qui est arrivée par là et on a dû faire les premières éditions en ligne.

Trois ans plus tard, on va pouvoir faire une édition de la Scientific Game Jam en présentiel au même endroit, à peu près au même moment de l’année

C’est la 6^ème édition où j’ai participé à l’organisation.

Claire : Il y a donc plusieurs éditions par année ?

Pol : Oui, tout à fait. Avec notre association, on organise deux éditions par an : une au printemps (coup d’envoi donné enmars-avril) et une à l’automne (septembre-octobre). On est parti sur ce rythme-là, et ça fonctionne bien.

Jusqu’à présent, c’était toutes sciences et même tout domaine de recherche parce qu’on accepte différentes discipline telle que la littérature, l’histoire, la géopolitique, la physique, les mathématiques, la biologie ou encore la chimie.

Mais il y a une différentiation qui est en train de se faire.

Pour l’édition automne 2021, j’avais un collègue dans l’équipe d’organisation qui était professeur d’histoire-géographie-éducation civique, William Brou. Donc nous avions orienté la game jam sur ces thèmes

Et lors de la dernière édition automnale, nous avions un partenariat avec le festival des Rendez-vous de l’Histoire, à Blois. Nous avions donc axé sur l’histoire et ils ont été très contents. On va donc le refaire cette année en proposant une Game Jam spéciale histoire.

S’il y a des jeunes-chercheurs en histoire qui veulent participer à l’édition printanière, ils peuvent. Mais c’est vrai que maintenant on les encourage un peu plus à aller à celle d’automne parce qu’ils ont vraiment une session pour eux. 

Sinon il n’y a pas de restrictions spécifiques concernant le thème. Néanmoins, pour cette édition on a un partenariat avec la Société Française de Physique et donc on va réserver des places pour des physiciens et physiciennes. Mais il y aura quand même d’autres thématiques !

Quel est l’objectif premier de la Scientific Game Jam?

Claire : D’après ce que je comprends, l’objectif de ces jeux est d’expliquer un concept scientifique et non pas de faire des sciences participatives?

Pol : Oui, c’est plutôt une démarche de médiation. Ce n’est pas pour faire avancer la recherche scientifique comme on avait pu le voir avec Foldit (un jeu sorti en 2008 où l’objectif était de déterminer la forme d’une protéineIl s'agit d'une très grosse molécule qui a un rôle préci... More, ndlr) puisque les performances de l’IA (une Intelligence Artificielle, autrement dit, un ordinateur, ndlr) permettent de faire beaucoup mieux qu’un million de joueurs pour beaucoup moins cher.

Ce n’est pas l’intention de la Scientific Game Jam. On est vraiment sur un objectif d’enseignement, de médiation. Que les jeux soient utilisés en classe, dans des musées, pour de la vulgarisation, ou encore pendant des festivals, on cherche vraiment la transmission d’un savoir.

Claire : La Scientific Game Jam se fait donc en deux temps : le temps de la création des jeux vidéo (réservé aux scientifiques et créateurs de jeux vidéo) et après il y a toute l’utilisation de ces jeux pour diffuser les sciences auprès du grand public.

Pol : Oui, c’est ça. Mais à la fin de la game jam on invite souvent le public à venir assister aux présentations des jeux, les tester et voter pour leur jeu préféré. Tous les participants arrêtent de faire leur jeu et un des membres de l’équipe (souvent le jeune chercheur ou la jeune chercheuse) présente le jeu vidéo qui a été réalisé. Là, on encourage le public à venir voir ce que c’est et ensuite à tester les jeux.

On fera une soirée sur Twitch le mercredi 12 avril pour les remises de prix pour certains sites et pour révéler le jeu qui a gagné le plus de vote du public.

Il y aura des prix au niveau local et un prix grand public au niveau national. Et puis cette année, il y aura aussi une sélection par la Société Française de Physique.

Mais oui, la première partie est interne, pas très ouverte à l’extérieur. Et après, effectivement, il y a une deuxième partie qui est plus ouverte au grand public. On va participer à plusieurs festivals. Il y aura le festival Double Science à Paris où il y aura des stands pour présenter des jeux. On devrait également être présent à Lyon pour le festival Lyon Geek Touch. Il y aura également une présentation des jeux au congrès de la Société Française de Physique début juillet, plutôt pour les jeux de physique, etc.

Tous les jeux sont mis sur une même page, donc tous les jeux seront disponibles au même endroit.

Claire : Et à ce moment, l’utilisation est libre pour tous ?

Pol : Oui, les jeux sont gratuits, toujours, et les gens peuvent les utiliser comme il veulent. C’est déjà arrivé qu’une équipe poursuive la création de jeux vidéo ou qu’une association engage une équipe pour aller plus loin, faire une version plus aboutie, utilisable dans le cadre d’un projet scolaire ou ce genre de chose. C’est quelque chose qu’on a envie d’encourager. Mais en tout cas, de base, tous les jeux qui ont été réalisés sont en ligne et disponibles gratuitement.

Un avis sur les jeux de la Scientific Game Jam?

Claire : Que peux-tu nous dire sur ces jeux ?

Pol : On a une quarantaine de jeux qui sont disponibles actuellement sur le site. Il faut savoir qu’il y a un peu de tout. C’est comme, un concours de cinéma. Il y a des bons jeux, il y en a des moins bons et parfois il y a des jeux exceptionnels qui sortent. On fait un petit travail de sélection aussi avec les prix remis par le jury. Cela permet de mettre en valeur les jeux qui sont les plus réussis, les plus utilisables.

Il y a des jeux où il faut télécharger une version exécutable sous windows et l’installer. D’autres, que nous essayons d’encourager, sont jouables directement en ligne. Dans ce cas, n’importe qui peut y jouer depuis n’importe quel ordinateur, il n’est pas nécessaire d’avoir une Xbox, une PS5 ou je ne sais quelles autres consoles haut de gamme.

Claire : On peut y jouer à partir de quel âge ?

Pol : Ça dépend des jeux. Il n’y a pas de règles quand on demande aux équipes de faire des jeux. Souvent les jeux sont assez accessibles pour des adolescents à partir de 12 ans parfois, ils sont plus complexes. Si tu cherches des jeux spécifiques pour les enfants, il y a Run, Proton, Run (physique chimie) qui est pas mal, il y a aussi Floward and Upward. Neurobot fait partie de mes préférés mais il est peut-être un peu difficile pour des enfants. Mais c’est un jeu de puzzle donc on peut réfléchir à plusieurs. Il y a aussi Cosimo, Philologus, Romanizer (il est joué au collège), IASO, Colonistrate, il marche bien avec les enfants, il est assez simple, il faut construire un bâtiment en Indochine.

Claire : Pour le grand public qui a découvert un jeu, est-ce qu’il y a possibilité de contacter l’équipe qui a fait le jeu ?

Pol : Oui, on n’a pas formalisé cela mais normalement on trouve assez facilement les coordonnées des créateurs. Souvent, ce sont des jeunes, qui ont 20-30 ans, ils sont contents de parler de leur jeu.

Claire : Est-ce que la complexité est indiquée sur le site ?

Pol : Non, ce n’est pas indiqué spécifiquement. Il faut tester. De toutes façons, en général, ce sont des jeux qui se jouent en 5-10 minutes, donc très rapides à tester. Néanmoins, il peut y avoir des petits indices quand on regarde la description. Par exemple, il y a un jeu sur la théorie de la transformation des nœuds en mathématique. Le jeu est peut-être accessible mais je ne sais pas si on va apprendre beaucoup à de jeunes enfants !

Un mot de la fin ?

Pour les streamers qui veulent tester les jeux, ils peuvent nous contacter, s’ils veulent contacter les équipes de développement, on les mettra en relation…
Pour le grand public, il ne faudra pas hésiter à suivre l’événement et à tester les jeux et après voter pour leur jeu préféré, on va indiquer tout ça sur le site web. Et puis voilà ! S’il y a des gens qui ont envie d’utiliser les jeux par la suite que ce soit pour des actions de médiation ou participer à des festivals et bien il ne faut pas hésiter non plus ! Les jeux sont gratuits, Il y en a qui sont vraiment très très bien.

Alors? Quel jeu vas-tu tester en premier?